Jean Omer Marie Gabriel Monnet (1888-1979) est un homme d’État français, artisan de la victoire des alliés durant la Seconde Guerre mondiale, père de la planification à la française et un des pères fondateurs de l’Union européenne, avec Robert Schuman.
Jean Monnet est né le 9 novembre 1888 à Cognac et mort le 16 mars 1979 à Bazoches-sur-Guyonne (Yvelines).
Il est issu d’une famille de négociants en cognac et a débuté sa carrière dans l’entreprise familiale. Sa formation est essentiellement due aux conversations qu’il écoutait, dès l’enfance, à la table familiale, entre son père et ses clients étrangers, sur le commerce du cognac, une des premières entreprises françaises totalement mondialisée. Il interrompt ses études après son bac et s’installe à Londres, dans un premier temps, puis voyage plusieurs fois en Amérique du Nord, toujours pour l’entreprise familiale. Jean Monnet en tirera une parfaite maîtrise de l’anglais, chose rare à l’époque pour un Français et une profonde connaissance de la mentalité anglo-saxonne, ce qui lui permettra d’obtenir immédiatement leur confiance : il restera toujours mister Monnet of Cognac.
En 1914, après la bataille de la Marne, à peine âgé de 26 ans, fort de son expérience d’affréteur maritime, il obtient un entretien avec le Président du Conseil, René Viviani, replié à Bordeaux : il lui décrit le gâchis que représente l’utilisation désordonnée des flottes marchandes française et anglaise et lui explique la nécessité de créer un pool maritime franco-anglais pour optimiser les transports de vivres, munitions et matières premières.
Il devient haut-fonctionnaire inter-allié en 1916, pendant toute la durée restante de la Première Guerre mondiale et responsable de la coordination des ressources alliées. Il est confirmé dans ses fonctions par Clemenceau. En 1919, il travaille à la création de la Société des Nations, et effectue des missions en Silésie, en Autriche, en Pologne et en Roumanie. En 1920, il est appelé au poste de secrétaire général adjoint de la nouvelle organisation internationale.
Démissionnaire en décembre 1923, pour rejoindre quelque temps l’entreprise de son père, Jean Monnet s’engage dans une carrière d’homme d’affaires et de financier international et travaille en France, aux États-Unis, où il dirigea une grande banque américaine à San Francisco, puis en Chine, comme conseiller de Tchang Kaï-chek qui voulait faire entrer son pays dans le XXe siècle. En 1929, il rencontre sa future épouse Silvia de Bondini.
Rentré en France, en 1938, il préside, dès décembre 1939, au début de la Seconde Guerre mondiale, le comité de coordination visant à mettre en commun depuis Londres, les capacités de production de la France et du Royaume-Uni en vue de préparer et de coordonner l’effort d’armement.
Lorsque Hitler lance son offensive le 10 mai 1940, et avant la capitulation française, il arrive à convaincre Churchill, dans une note intitulée AngloFrenchUnity, de l’intérêt d’une fusion immédiate de la France et du Royaume-Uni avec un seul Parlement et une seule armée, pour être plus forts face à l’Allemagne. Le général de Gaulle est chargé de faire signer le traité à Paul Reynaud, le Président du Conseil. Le dimanche 16 juin, de Gaulle, en mission à Londres, dicte lui-même au téléphone le texte de la note à Paul Reynaud. Le même jour il arrive à Bordeaux, apprend que Paul Reynaud est démis de ses fonctions le soir même, et que Philippe Pétain est devenu Président du Conseil. Le 17 juin au soir, Jean Monnet reçoit à son domicile londonien le général de Gaulle, qui prépare son appel radio-diffusé du lendemain. Jean Monnet coopère momentanément avec lui pour tenter de maintenir le gouvernement de la France aux côtés des Alliés. Néanmoins il refuse de s’associer à lui pour le lancement de la France libre. Paradoxalement, de Gaulle et Monnet étaient très différents mais eurent immédiatement la même analyse sur la nature mondiale de la guerre et sur son issue victorieuse grâce à l’intervention certaine des USA. Au cours de leur vie politique, ils continueront à s’affronter : pour le Général, Monnet sera toujours l’inspirateur.
En août 1940, Jean Monnet est envoyé aux États-Unis par le gouvernement britannique, pour négocier l’achat de fournitures de guerre. Les États-Unis étaient isolationnistes, mais il réussit à persuader le président Roosevelt de relancer l’industrie de guerre américaine, afin de pouvoir contre-attaquer très vite et très fort le moment venu. C’est la mise en place du « Victory program ». Jusqu’en 1945, il s’emploiera à coordonner l’effort de guerre entre le Royaume-Uni et les États-Unis. Dès 1942, il était prévu de construire 60 000 avions, 45 000 chars d’assaut et huit millions de tonnes de navires de guerre. Jean Monnet résumera cette politique par une phrase célèbre : » Il vaut mieux 10.000 chars de trop qu’un seul de moins (que nécessaire) » John Keynes a dit de lui qu’il avait abrégé la guerre d’un an.
En 1943 à Alger, il devient successivement membre du Commandement civil et militaire de Giraud, qu’il exhorte à abandonner la législation de Vichy (voir Régime de Vichy en Afrique libérée (1942-1943), puis membre du Comité français de la Libération nationale institué pour unifier l’effort de guerre des autorités françaises de Londres et d’Alger. En 1944, il est chargé d’évaluer les besoins qu’aura la France après la libération, et négocie auprès du gouvernement américain, les premiers prêts et les premiers accords de crédit. Mais cependant il n’a aucune responsabilité dans le lancement du Plan Marshall.
Pour lui, l’économie de guerre était planifiée, et il est naturel que l’économie de la reconstruction le soit aussi, mais son but n’est pas d’adopter la philosophie de la planification à la soviétique et surtout de transposer en France leurs méthodes autoritaires. Son but est d’insuffler du dynamisme, pas d’imposer des objectifs. À la libération, il est chargé du plan pour relancer l’économie, en tant que Commissaire au Plan, de décembre 1945 à 1952. Il est le père de la planification à la française. Le travail de ses services consiste à étudier la situation, à mettre en évidence les priorités, à évaluer les volumes de production souhaitables, à lancer les discussions sur les moyens de les mettre en œuvre, et surtout à lancer la reconstruction et la modernisation de l’appareil de production.
En janvier 1947, après de longs entretiens avec près d’un millier de personnes (patrons, syndicalistes et fonctionnaires), secrets et en tête à tête, pour éviter le formalisme et le lobbyisme, un plan est présenté au gouvernement de Léon Blum. Ce plan est l’affaire de tous et est soutenu par tous les syndicats ouvriers (CGT, CFTC), les syndicats agricoles et le CNPF.
Dès 1950, des rapports signalaient que l’Allemagne se relève beaucoup plus vite que la France, certains craignent que les vaincus soient à nouveau tentés par une revanche. De plus il faut définitivement intégrer l’Allemagne dans le camp occidental alors que la guerre froide débute et que le centre de l’Europe risque de devenir un espace d’instabilité et de guerre Est-Ouest. La France se doit de prendre l’initiative, de tendre la main à l’ennemi d’hier et de proposer de lier les destins des deux principaux pays de l’Europe continentale.
Jean Monnet travaille en secret sur un projet de mise en commun du charbon et de l’acier, principales sources d’une possible industrie de guerre. Au printemps 1950, il propose son projet à Robert Schuman, celui-ci après s’être assuré de l’accord du chancelier Konrad Adenauer, fait le 9 mai 1950, une déclaration solennelle pour inviter tous les pays intéressés à poser « les premières bases concrètes d’une fédération européenne ». Dans un discours de 1950, il dit :
« La prospérité de notre communauté européenne est indissolublement liée au développement des échanges internationaux. Notre Communauté contribuera à régler les problèmes d’échange qui se posent dans le monde. Nous sommes déterminés à rechercher sans délais dans des conversations directes, les moyens de mettre en œuvre l’intention déclarée du gouvernement britannique d’établir l’association la plus étroite avec la Communauté. Nous sommes convaincus que nous pouvons envisager une collaboration étroite et fructueuse avec les États-Unis, qui depuis la proposition faite par Monsieur Schuman le 9 mai 1950, nous ont donné des preuves répétées de leur sympathie active. Nous assurerons toute liaison utile avec les Nations unies et l’Organisation Européenne de Coopération Économique. Nous développerons avec le conseil de l’Europe toutes les formes de collaboration et d’assistance mutuelle prévues par le traité. Mais, nous ne sommes qu’au début de l’effort que l’Europe doit accomplir pour connaître enfin l’unité, la prospérité et la paix. »
Le traité de Paris de 1951, entérine la création de la Haute Autorité, l’Assemblée des Six, une Cour de Justice qui veille au respect du Traité, et un Conseil de Ministres qui assure l’harmonisation des politiques des États membres. C’est la préfiguration d’une Fédération européenne. La CECA est créée et Jean Monnet devient, de 1952 à 1955, le premier président de cette Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), installée à Luxembourg, le 10 août 1952. Dès 1953, le charbon et l’acier circulent librement en Europe pour le plus grand avantage des consommateurs aussi bien que des producteurs.
Pour lui, cette Europe des six en devenir, est le moyen de lier l’Allemagne et la France et de désamorcer la renaissance d’une rivalité séculaire, en plaçant les productions de l’acier et du charbon, dans le cadre d’une délégation de souveraineté. Mais il veut aller plus loin, car dès cette époque il est envisagé une armée nationale allemande, ce qui semble être un dangereux retour en arrière. Il propose donc la création d’une armée européenne, présentée par René Pleven dans le cadre d’un Plan de Communauté européenne de défense (CED). Un premier traité sera signé mais sous le gouvernement Mendès France, le Parlement français le rejette en 1954.
Suite à cette première grave crise européenne, Jean Monnet démissionne de la Haute Autorité et fonde le Comité d’action pour les États-Unis d’Europe, afin de poursuivre son activité en faveur de l’unité européenne à travers lui. Ce comité regroupe les forces syndicales et politiques des six pays et représente plus de dix millions de personnes. Il prône une fédération européenne et propose de placer le siège des institutions communautaires dans un « district fédéral » échappant aux souverainetés nationales. Jean Monnet l’anime jusqu’en 1975, et travaille sur les projets de traité pour le Marché Commun et d’Euratom, qui aboutissent au traité de Rome, le 25 mars 1957, et sur le projet d’élargissement de la Communauté au Royaume-Uni.
En 1963, il crée à Lausanne l’Institut de recherches historiques européennes dans le but de rassembler des archives significatives et de leur consacrer des recherches. Il assurera la présidence de cet institut jusqu’en 1965.
En 1975, à l’âge de 87 ans, il prend sa retraite définitive dans sa maison d’Houjarray pour écrire ses Mémoires. Il décède le 16 mars 1979, à l’âge de 90 ans. Ses obsèques ont lieu le 20 mars 1979 à Montfort-l’Amaury en présence du président Giscard d’Estaing et du Chancelier Schmidt.